jeudi 18 février 2021

 ARNAUD bis


Jusque dans les années 70, Arnaud a travaillé dans une compagnie d’assurance à la demande de son père. A la mort de celui-ci, il s’est empressé de démissionner et a ouvert un magasin d’artisanat dans une petite rue pas très passante de Paris, et ça n’a pas marché.

A mon avis, il ne recherchait pas le succès commercial, mais plutôt un endroit où se cacher tout en pouvant justifier d’une activité professionnelle.

A la mort de sa mère en 1990, il a liquidé son commerce et s’est exilé au Pays Basque, où il s’est fait construire une maison à sa mesure : 2 chambres à coucher, un petit jardin, dans une zone plutôt sauvage, distante des commerces et de la Ville.
Je ne peux m’empêcher d’établir un parallèle : je me suis inscrit à l’Université, en Lettres, à la demande de mon père mais y ai trouvé peu de satisfactions ou de stimulations. L’Université suisse n’avait vraiment rien en commun avec l’image qu’on recevait alors du cinéma américain, ma référence majeure à l'époque. Pas de réel campus, aucun sens de la communauté, et des cours globalement ennuyeux. Ensuite, les débouchés qui s’offraient à moi étaient bibliothécaire, prof ou… journaliste.
A la mort de mon père, j’ai assez rapidement quitté la fac et ouvert mon propre magasin qui n’a pas été très rentable sur la durée, malgré un pic important dans les années 90.

(Voir plus de détail dans montre blog : « La Saga du Paradoxe Perdu ». Article du 25 juillet (?) "3 Sites, 1 magasin".
https://lasagaduparadoxeperdu.blogspot.com/2018/07/normal-0-21-false-false-false-fr-ch-x_25.html?view=classic )


Avec le deuxième déménagement dans le quartier des Bains, mon objectif ultime était, je l’avoue, de viser un mode de commerce plus restreint, plus confidentiel. J’imaginais pouvoir le tenir seul ou avec une aide à temps partiel en n'exploitant que les produits qui m’intéressaient toujours. Mais quand j’ai fait les calculs, ce n’était pas envisageable.
J’aurais eu alors un mal fou à en retirer un salaire minimum :  j’y aurais laissé la chemise.

De plus, j’avais déjà acheté une petite maison dans la Drôme, dans un petit village très peu habité, distant des commerces et de la ville, idéale pour… m'y cacher.


mercredi 17 février 2021

 

HOMO ET EXHIBO


Un de mes oncles, Arnaud, a mis à disposition du reste de la famille la résidence dont il avait lui-même hérité de ses parents, à St Jean-de-Luz, au Pays Basque français.

Moi, je trouvais qu’en jouir allait de soi, dans la mesure où lui-même en avait bénéficié depuis toujours et ne faisait que perpétuer la tradition du partage familial.

L'accès à la propriété en 2014, 10 ans après la vente.

Pour le reste, il n’était franchement pas très sympa. En même temps que le principe de l’accueil à bien plaire, il a aussi perpétué une attitude tyrannique envers tous ses visiteurs, attitude vraisemblablement transmise par ses propres parents. Logique.

Il avait une peur obsessionnelle des cambrioleurs et, après le dîner, il nous décourageait activement de discuter sur la vaste terrasse. Il finissait par mettre le poing sur la table, nous faisaient rentrer comme de la volaille indisciplinée, et fermait les volets.
D’ailleurs TOUS les volets de la maison étaient soigneusement baissés ou fermés tous les soirs. La maison devenait alors un bunker jusqu’au réveil.

Nous étions tenus d’assister à tous les repas. Alors, bien sûr, nous pouvions demander une dérogation, mais il fallait alors avertir au moins 2 ou 3 jours à l’avance. Et ça ne l’empêchait pas de faire des remarques désobligeantes sur les absents :

« Mais qu’est-ce qu’ils vont foutre au restaurant ! C’est pas assez bon, ici ? » Ou « Celui-là ne va pas me manquer. » Etc…

Le mari d’une cousine, presque aussi ombrageux qu’Arnaud, n'a plus remis les pieds dans la maison après sa première visite.
Il est bien revenu quelques fois à St Jean-de-Luz, mais il s’installait dans une annexe appartenant à une des sœurs d’Arnaud.

Mon père n’y a d’ailleurs jamais séjourné plus que nécessaire, 2-3 jours au plus et seulement à l’époque où mes sœurs et moi étions enfants. Après il n’est plus venu du tout. Et c’était sous le régime des grands-parents déjà, qui ne l'appréciaient guère.

Je précise ici que ce comportement "tyrannique" était de famille. La soeur mentionnée plus haut m'a un jour interdit de visite dans sa maison, quand j'étais encore enfant. Et cette interdiction est restée effective pendant plus d'une décennie.

Arnaud faisait des histoires quand on invitait des amis, même si en fait, il accédait toujours à nos demandes, pour ensuite mieux protester : « Heureusement qu’ils sont partis. »

En 2000, j’ai moi-même invité une compagne du moment, Prunelle* (prénom fictif) et j’ai su par ma mère qu’Arnaud avait déjà protesté avant notre arrivée. Je dois préciser que j'avais alors fait la demande à ma mère et non à mon Oncle directement.
Prunelle a fait faux bond pour le premier déjeuner tellement le trajet l’avait fatiguée. Qu’est-ce que j’ai pris ! J’ai eu beau expliquer à Arnaud qu’elle avait besoin de beaucoup de sommeil, que ce n’était pas contre lui : rien ne l’a apaisé.
Elle a assisté au dîner suivant, puis elle m’a demandé d’être dispensée des repas pour le reste du séjour. Je la comprenais, mais j’ai dû lui imposer les 48 heures de préavis. Elle a subi stoïquement. Pour la suite, nous avons toujours mangé dehors ou parfois dans la chambre, sauf le dernier jour, tradition indérogeable.

Les petits déjeuners, c’était impérativement avant 9 heures. Il fallait avoir libéré la cuisine et la salle à manger avant. Pour moi, j’étais réglé, ça ne me posait aucun problème. Mais d’autres invités, y compris de la famille, n’appréciaient guère. Quand on sort jusqu’à 2-3 heures du matin, le lever quasi-obligatoire à 8 heures, c’est difficile à accepter. En vacances, en plus !



Les Fêtes de Bayonne, occasion de beuveries 24h/24. A faire une fois dans sa vie. Jeune de préférence.

Prunelle et moi, on se couchait à des heures chrétiennes, mais…. 8h30, ça le faisait pas du tout-du-tout-du-tout pour elle.
Je lui préparais donc le plateau le plus complet possible avant 9 heures, et je faisais bouillir l’eau du thé en catimini, au dernier moment, vers 11 heures.
J’oubliais : si mon oncle nous surprenait à faire bouillir plus d’eau que nécessaire, nous avions droit à un reproche insistant, genre « C’est pas vous qui recevez la note ! ».


Pendant notre séjour à Prunelle et moi , prévu sur 10 jours, nous avons accumulé tellement de blâmes que finalement, nous avons écourté. Prunelle déprimait, et j’étais moi-même très perturbé par son inconfort manifeste et mon incapacité à lui offrir des vacances sereines.

Les dernières années, nous avons été plusieurs à remarquer que la maison avait besoin d’une importante rénovation : la peinture s’écaillait dans toutes les pièces, des éléments décoratifs tombaient et n’étaient pas remplacés, les balcons devenaient dangereux, certains ont été définitivement condamnés, la plomberie et l'électricité étaient vétustes.

Parmi les incidents plus sympathiques : un matin je déjeunais très tôt dans la cuisine. J’écoutais mon compositeur favori à un volume modéré. Mon oncle apparait, pas de bonjour ni rien, il passe devant le lecteur CD, ramasse le boîtier, et lâche hautainement :

« Korngold, quel ennui. »

Des années plus tard, après son décès en 2004, j’ai découvert une grande quantité de CDs dans ses affaires, plein de compositeurs et de titres que j’aimais beaucoup ; je découvrais un peu triste que nous avions en fait des goûts communs.
Et dans ces CDs, il en avait un de Zemlinsky, le tuteur de Korngold.
J’en ai aussi trouvé un, mais juste un, de Korngold, l’Opéra « Die Tote Stadt ». « Quel ennui ! » Non, Arnaud, non.

Dans les années 80, une autre amie, Anita, n’avait, elle, eu aucune peine à s'adapter, appréciant sans doute cette rigueur imposée et ce cadre de vie inhabituel. Elle est revenue plusieurs fois.
Tous les matins, nous étions réveillés par l’Oncle qui pestait sous notre fenêtre contre sa chienne Houfa, qui aboyait.
C’était les « Houfa, honestly ! » répétés et tonitruants qui nous réveillaient plus que le chien.

35 ans plus tard, ça nous fait toujours rire, et nous rappelle combien nos séjours dans cette maison étaient finalement heureux et insouciants. La plage était à 5 minutes à pied, la Ville à 10 mn, l’Arrière-Pays avait un charme fou, l’Espagne était toute proche, Bilbao et son Musée en titane à une heure, Bayonne et son Musée Helleu à 30 mn. On peut y découvrir une collection exceptionnelle de Vinci, Raphaël, Dürer, Ingres ….
Pas de courses ni de ménage à faire, des grandes chambres confortables, des bains interminables dans des baignoires à l’ancienne, bien plus vastes et profondes que les nouveau modèles, et une cuisine de grande qualité avec des plats absolument magiques : tout ou presque était fait maison par une cuisinière locale. Les glaces ,oui même les glaces !, les gâteaux basques à l’abricot ou à la pêche, les biscuits secs, les pipérades, les poulets basquaises, les blanquettes de veau (« Elle est bonne ? » Elle était bonne.), les profiteroles, les soufflés au fromage en plat, ou à l’orange en dessert, des poissons frais du port, pêchés localement…
Un plat démoniaque de simplicité était la couronne de riz avec œufs au plat et bananes rôties. Je me le suis refait dernièrement : quel délice !

Ma version de la couronne de riz, avec tomates frites. L'esthétique n'est pas mon fort.

Mention aussi pour la chance de pouvoir retrouver des parents plus ou moins proches une fois par an, et des amis de la famille. Certains sont devenus des résidents multirécidivistes. J’ai connu dans cette maison mon premier coup de foudre. Elle aura droit à son propre texte, un jour, Lady B.

Sous le régime d’Arnaud, les repas sont devenus plus frugaux, plus simples que sous celui des grands parents. Traditionnellement des salades ou des buffets froids à midi et un repas plus important le soir. Il avait réduit le temps de présence de la cuisinière. Les soles meunières d’antan ont fait place à des plies ou du cabillaud. Le dimanche soir, c’était souvent pizza industrielle.
Des plaintes ont souvent été formulées derrière son dos quant à la qualité exécrable des vins. Je ne sais pas, je n’en buvais pas. Et quand un invité amenait ses propres bouteilles… le scandale garanti !
Et des plaintes redoublées quand il fallait ensuite retourner aux bouteilles domestiques.

Il nous a souvent reproché des factures téléphoniques qui, à sa décharge, devaient être salées. Pour ma part, j’utilisais quotidiennement le téléphone fixe pour appeler mon magasin et des amis, environ 10-15 heures par séjour de 10 jours. Et d'autres membres de la famille faisaient pareil. On a proposé de rembourser ces frais, mais, pour lui, c’était une question de principe, de respect. Et donc un refus crispé.

A partir des années 90, il a introduit une nouvelle règle tyrannique : nous n’étions plus autorisés, sous aucun prétexte, à monter sur le toit en terrasse.
Bien sûr, certains d’entre nous, et donc moi, le faisions quand même, en grand secret.
Un jour, je l’y ai surpris bronzant en zérokini ! Il n'a pas apprécié.

Par la suite, j’ai moi-même joui de multiples séances sur ce toit, joui car elles étaient expressément exhibitionnistes et onanistes.
Avez-vous seulement idée du plaisir à s’exposer en plein soleil, avec un point de vue imprenable sur la nature et les villas environnantes, et de satisfaire un Popol plein de fierté et très démonstratif dans son plaisir ?
Une fois, j’ai abusé d'une femme en maillot de bain sur son balcon voisin. C’était bon. Elle n’est jamais venue se plaindre.
Dans les années qui ont suivi, je me réjouissais des semaines à l’avance de mes visites sur ce toit.
A la longue, cette obsession a passé. Tout passe, tout lasse. « Been there, done that. »

Dans mes années adolescentes, j’ai pu partager déjà ce plaisir exhibitionniste avec deux amis sur une plage des Landes.
Pendant qu’ils se baignaient, je me suis couvert de crème solaire, bien partout, avec le résultat que je vous laisse imaginer.
Au retour des amis, je me suis précipitamment retourné face contre sable. Et là, Popol se réveille à nouveau et commence à creuser un terrier. Je grimace, me tortille, mais c’est chaud, les grains de sable. Et par frottement, ils ne font qu’exacerber mon plaisir.
J’ai ensemencé Gaïa !


Ilbaritz a une section nudiste. Qu'on se le dise!

Une des tristes choses que j’ai apprises post-mortem sur mon Oncle, c’est qu’il avait eu une existence passablement malheureuse et solitaire.
Il avait grandi homosexuel à une époque où ça ne se faisait pas du-tout-du-tout de manière assumée.
Il ne l’a jamais avoué, ou seulement tardivement à certains proches. Depuis les années 60, nous ne lui avons jamais connu d’amants. Certains pensent même qu’il a cessé d’en avoir depuis cette décennie-là au moins.
Ses parents n’ont jamais su ou lui ont fait payer le fait qu’il savait.

D’où son irritabilité presque constante envers son entourage. Nous étions tous des ennemis potentiels dans SA maison, susceptibles de révéler sa tare au Monde.

Vous imaginez vivre avec un tel secret pendant plus de 60 ans, et ce malgré la révolution sexuelle et les mouvements gays des années 70-80 ?

C’est inconcevable.

Et en plus, un neveu, moi-même, casse du sucre sur lui des années après sa disparition, ce neveu qui a largement bénéficié de cet Oncle de son vivant et encore plus après son décès. Car, qui dit homosexuel dit pas d’héritiers directs donc pécule conséquent pour ses neveux et nièces.

Depuis son décès, je profite à la fois de sa frugalité passée et de sa générosité posthume.
Grâce à lui, j’ai pu envisager sereinement une retraite anticipée.
Et j’ai le temps d'écrire et de peindre tant que ça me chante dans un paisible cadre champêtre.

Arnaud, merci.
Regrets sincères.


https://www.youtube.com/watch?v=Po9aewTdMvc

https://webmuseo.com/ws/musee-bonnat-helleu/app/report/index.html

 

mardi 16 février 2021

 
Évolutions Crépusculaires.


En promenade en bordure d’une route à deux voies, en début de soirée, j’assiste à un incident à une cinquantaine de mètres : un groupe de personnes au milieu de la chaussée, dans un tournant ; l’un d’eux est tombé et les autres l’aident à se relever. A cause de la lumière déclinante, je distingue juste une masse noire qui s'agite.

J’identifie finalement une bande de jeunes, 14-15 ans, dont celui qui est tombé de sa trottinette. Mais tout le monde va bien : ça rigole et se tape dans le dos.

Pendant que je m’attendris avec une pointe d’effroi, des voitures passent régulièrement dans les deux sens à des vitesses très soutenues.

Alors que le minicycliste se lance à nouveau au milieu de la route poursuivi par une admiratrice fortement hormonée, je songe quand même à appeler Police Secours :

« Bonjour, il y a un jeune qui s’est fait renverser par une voiture, il est dans un sale état, il y a du sang partout… »

« C’est pas le bon numéro. Il faut appeler une ambulance. »

« Je n’ai pas leur numéro, vous pouvez les appeler pour moi ? »

- An non, désolé, on ne fait plus ça.

- Alors attendez, je vais voir si le jeune est d’accord. Je vous le passe ? (Je la mets brièvement en attente.) Bon, ben finalement, il ne répond plus. C’est quoi votre nom ? »

Heureusement, je n’ai pas eu à appeler la police.

Le duo a regagné l’étroit trottoir sans crash-test fatal. Les autres persistent à s'agglutiner en masse compacte, à se bousculer l’un l’autre et sans masques, quelle idée ! il y en a toujours un ou deux qui tombe du trottoir, frôlé de prêt par des véhicules toujours aussi rapides.

J’arrive à leur hauteur ; ils sont tellement mignons, ils me font presque de la peine. J’attire leur attention :

« Dites, excusez-moi, juste une question : vous connaissez le Prix Darwin ? »

Ils se concertent brièvement, puis un jeune homme au regard presque brillant me demande :

« C’est une rue ? »

Je jubile :

«  Non, non, c’est un Prix. (J’articule) Le-Prix-Dar-win. »

De nouveau, une brève concertation, on hausse des épaules. Le même jeune homme :

« Ben non, on connait pas. »

Moi, avec un grand sourire, sans méchanceté :

- Vous devriez vous inscrire, je suis sûr que vous auriez vos chances de le gagner. Allez voir en ligne : Darwin. D-A-R-W-I-N. »

Sans la moindre hésitation, ils plongent dans leur Stupid Phones respectifs.

Tandis que je m’éloigne, je saisis plusieurs « Non, c’est pas vrai ! C’est ça ? Non, mais je rêve, j’ai trouvé ! »

Puis un éclat de rires général.
Maintenant ils savent.

Je me retourne. L’un d’eux me gratifie d’un salut.

Mission accomplie !




https://fr.wikipedia.org/wiki/Darwin_Awards