Dans ma jeunesse, il y a très très très
longtemps, j’étais fasciné par les personnes très cultivées, qui étaient
capable de soutenir des conversations sur des sujets multiples ou de sortir des
citations à la volée, voire même de réciter des textes entiers.
On trouve d’ailleurs ce talent porté à son paroxysme dans « Fahrenheit
451 », roman (1953) et film (1966) qui m’ont fortement marqué dans mon adolescence. Les
personnages y mémorisent des livres, en théorie pour toujours.
Au fil des années, j’ai appris tout
ce que j’ai pu sur les domaines qui me passionnaient alors : la
Bande-Dessinée, le Cinéma, la Science-Fiction et, par la suite, le Jazz, la
Musique Classique, la Musique de Films. Mais je ne me suis pas arrêté là: j’ai
aussi lu des biographies et j’ai assimilé tout ce que j’ai pu sur l’Histoire, les Sciences,
l’Art.
Puis j’ai commencé à ressentir une certaine frustration : à quoi bon
assimiler tout ce savoir ?
Dans les siècles précédents, les érudits se rendaient dans des « salons littéraires»
pour partager leur science entre gens bien instruits. La fonction de salon a été reprise depuis les
années 90 par internet, ses forums, ses réseaux sociaux et comme ici, ses blogs, mais dans ces cas, on partage son savoir pour briller en société ou "se la péter", et accessoirement pour partager son savoir et éduquer ses semblables.
J'aurais pu devenir professeur ou conférencier, mais je ne l’ai pas
sérieusement envisagé, et je ne suis pas convaincu que cela m'aurait satisfait.
Je suis toutefois tenté d’écrire des traités, des thèses, des historiques sur
les sujets où je m’estime suffisamment renseignés, comme par exemple l’histoire
des comics ou de la musique de films.
Savez-vous par exemple que la toute première musique de films est
« L’Assassinat du Duc de Guise » de Camille Saint-Saëns en 1908 ?
Et la 2ème ? Jusqu’à preuve du contraire, c’est « Le
retour d'Ulysse » de Georges Hüe en 1909. Des centaines d’autre musiques
ont été composées pour des films à l’époque du Muet qui sont aujourd’hui
complètement oubliées.
Mais je digresse.
A défaut de donner suite à ces projets,
j’ai continué à me rendre à des dîners familiaux qui ne semblent pas être des occasions au partage stimulant de connaissances. On y débattra plutôt de choses aussi futiles que l'origine du gigot ou de l'excellence du vin servis ce soir-là.
Il m’est par ailleurs arrivé de fréquenter des personnes à la vivacité d’esprit plutôt
limitée ou manquant singulièrement de curiosité intellectuelle.
Combien de fois ne me suis-je pas entendu dire : « Je ne lis jamais. »
ou « je n’ai pas le temps » ou « Comment pouvez-vous vous
intéresser à des trucs pareils ? » ou, plus spécifiquement « C’est
quoi, le Mur du Son ? » ou « C’est qui Camille Saint-Saëns ? »
Donc, de nouveau : à quoi bon se cultiver ?
J’ai trouvé une réponse à la lecture consécutive de trois livres à priori sans rapport l'un avec l'autre.
Dans «The Big Splat »(1993) Dana McKenzie raconte comment la Lune
s’est constituée et comment l’Humanité l’a perçue depuis des millénaires.
On a retrouvé une peinture rupestre vieille de 15.000 ans qui a pu
être interprétée comme le premier calendrier lunaire, réalisée dans le but probable de
planifier les chasses nocturnes.
Des lustres plus tard, des philosophes de l’Antiquité ont déterminé la courbure
de la Terre, les mouvements du Soleil et de la Lune et au Moyen-Âge, en 1543,
Copernic a démontré la rotation de la Lune autour de la Terre et de cette
dernière autour du Soleil.
Dans « A World Only Lit by Fire » (1992 ) William Manchester démontre à quel point l’Europe a été plongée dans l’obscurantisme et
le chaos pendant plus de 1000 ans jusqu’à l’arrivée de… Copernic, qui élabore
sa théorie héliocentrique (le Soleil est le centre de l'Univers) sous forme de manuscrit. Grâce à l’invention de la Presse de Gutenberg
(en 1454), ce manuscrit est reproduit à
de multiples exemplaires, et cette théorie est partagée et assimilée par un plus grand nombre. Elle participe ainsi à
l’entrée de l’Europe dans la Renaissance, une période d’enrichissement
intellectuel sans équivalent.
Dans « You are not a Gadget » (2010) Jaron Lenier explique que
l’invention d’internet dans les années 80 marque le plus grand bond dans la
technologie de la communication depuis Gutenberg, car à présent
l’information peut être partagée instantanément et par un nombre
potentiellement illimité de personnes et en plus de façon dématérialisée.
Pourtant cette invention n'a pas povoqué jusqu'ici la révolution escomptée.
C'est un constat plus que navrant parce qu'avec cette connaissance démultipliée, disponible en tout temps et
partout, dans toutes les langues, chacun de nous à la possibilité et presque la
responsabilité de l'acquérir.
Mais, une fois encore, dans quelle fin ?
Chacun des éléments que j’ai abordé ci-dessus : le Cinéma, la Musique de
Films, la Bande-Dessinée, Le Jazz, l’Art, la maîtrise du Cosmos, l’invention de
la Presse, le passage des Ténèbres à la Lumière, l’apparition d’Internet sont
des pièces d’un puzzle incroyablement vaste, que la personne cultivée peut
patiemment assembler, dans l’espoir, sans doute jamais réalisé mais
aussi séduisant que le serpent du Jardin d’Éden, de comprendre l’intégralité de l’expérience humaine, et à terme, de l’intégralité de
l’Univers.
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